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vendredi 29 janvier 2016

Haïti : L’opposition est-elle prête ?

JACMEL, 24 Janvier – L'opposition a pu provoquer le renvoi des élections du 24 janvier 2016 en isolant le candidat du pouvoir, comme un rat pris au piège, tout en parvenant à convaincre la communauté internationale du bien fondé de sa position : des élections à un seul candidat c'est un déni de démocratie.
C'est une importante victoire. Et qui montre surtout que, malgré nos faiblesses structurelles, il nous reste suffisamment de caractère pour dire NON quand la cause est évidente. Et qu'on arrive à en convaincre, pour commencer, la communauté nationale. Quand c'est vécu par tous sans exception, au-delà de toutes autres divergences, comme une cause nationale.
Mais par-dessus tout quand on arrive à parler d'une seule et même voix.
Mine de rien, le 24 janvier 2016 devrait être inscrit comme une date importante dans l'Histoire de nos 30 dernières années (1986-2016).
Que va-t-il se passer maintenant ?
La partie n'est pas encore jouée. Loin de là. Du moins concernant l'opposition. En effet c'est elle qui devrait être considérée comme le héros du 24 janvier, mais c'est aussi elle qui peut tout faire échouer.
Sa principale formation actuelle, du moins la plus représentative, le Groupe des 8 (candidats formant le peloton de tête dans les résultats proclamés après le premier tour de la présidentielle qui a eu lieu le 25 octobre 2015, moins la candidate de Fanmi Lavalas, Dr. Maryse Narcisse, qui fait bande à part), le G-8 a publié un communiqué tout de suite après l'annonce vendredi (22 janvier) par le président du Conseil électoral provisoire (CEP), Pierre-Louis Opont, renonçant à la date (contestée) du 24 janvier pour le second tour :
« Le G-8 invite le peuple haïtien à ne pas se complaire dans le triomphalisme et à rester vigilant et mobilisé jusqu'à la satisfaction de ses principales revendications dont : 1) la démission de ce qui reste du CEP et les poursuites judiciaires à engager contre les corrompus ; 2) le départ du président Michel Martelly et la mise en place d'un gouvernement provisoire de consensus ayant principalement pour attributions : mettre en place une commission d'enquête indépendante (...) pour approfondir l'évaluation réalisée par la Commission d'Evaluation Electorale Indépendante (CEEI) et épurer le processus de vote (...) ; identifier et recommander l'exclusion du processus des bénéficiaires avérés des cas de fraudes ; réévaluer les décisions des BCED et du BCEN ; recommander au gouvernement provisoire de consensus toutes mesures jugées utiles et susceptibles de rétablir la confiance.

« Cette commission devra s'acquitter de sa mission historique dans un délai n'excédant pas trente jours calendaires. »
Formules pour la galerie ...
Or à première vue le communiqué du G-8 est inapplicable. C'est ce qu'on appelle un fourre-tout, où on ne peut pas distinguer ce qui est primordial de ce qui l'est moins. Par où commencer ?
En tête figure la démission du reste du CEP et des poursuites judiciaires contre ses membres corrompus.
Ensuite seulement le départ du président Martelly et la mise en place d'un gouvernement provisoire de consensus ...
Or tout le monde sait que les poursuites judiciaires sont la chose la plus impossible en Haïti, au point que les corrompus patents de la dictature Duvalier et du régime militaire putschiste (1991-1994) condamnés en outre pour violations massives des droits humains, vivent librement sous nos yeux de leurs biens mal acquis, c'est donc de la part du G-8 des formules pour la galerie.
Un 'shadow cabinet' ...
Ensuite ce n'est pas seulement après le départ de Martelly qu'un gouvernement provisoire de consensus devrait voir le jour, non il devrait exister depuis longtemps déjà (comme en Grande Bretagne : le 'shadow cabinet') avec son programme fin prêt et toutes les dispositions à accomplir sur le point de l'être et de la manière la plus professionnelle parce que dans un temps restreint comme se doit de l'être un gouvernement provisoire.
Sinon à quand les élections démocratiques, puisque c'est le bien fondé de tout cela !
Ceci dit, il est normal que ce soit cette partie qui occupe les ¾ du communiqué du Groupe des 8 : nettoyer le processus électoral de tous les pièges qui ont été dressés pour assurer la victoire des partisans du parti au pouvoir, 'Pati Ayisyen Tèt Kale', et identifier les bénéficiaires les plus évidents de ces pratiques pour les mettre de côté. Ce qui n'est pas aussi simple puisque, vu ce que sont devenues les mœurs politiques locales, rares sont les candidats qui auraient pu en profiter et qui auraient refusé. C'était comme à la vente aux enchères (comme il transparait dans le dossier des conseillers électoraux accusés de corruption). Avec en plus pour les candidats 'Tèt Kale', la complicité du Conseil électoral et l'allégeance de ce dernier au président Martelly.
Une opposition encore trop multiple ...
A la vérité, de l'avis d'un observateur indépendant (autant qu'on puisse l'être) : ces élections des 9 août et 25 octobre ont été une vraie gargote.
Or tout cela, le G-8 le sait mieux que quiconque. Par conséquent son communiqué du vendredi 22 janvier ne devrait pas être pris de manière trop littérale.
Cependant il découvre les faiblesses d'une opposition encore trop multiple. Entre ceux qui veulent trancher la question des élections frauduleuses, la vraie question à l'ordre du jour, qu'on le veuille ou non, or qui n'est déjà pas chose facile à cause d'une certaine généralisation (pour ne pas dire une généralisation certaine) des cas de fraudes ; et ceux qui voudraient effacer tout le système politique en place via un gouvernement de transition mais qui n'ont pu aligner jusqu'ici que des formules vagues sans consistance définie, une coquille vide.
Sans oublier bien sûr ceux qui veulent tout simplement s'assurer un strapontin dans le futur gouvernement établi. La politique étant devenue, que voulez-vous, un gagne-pain comme les autres, avant sa conception de mission 'historique', toute référence qu'on ne trouve justement que dans les communiqués de ce genre.
On décidera alors sans vous ...
Bref, le communiqué du G-8 ne fait que traduire l'embarras de l'opposition pour répondre au défi de l'heure après ce qu'il faut considérer pourtant comme sa grande victoire dans le renoncement au 24 janvier pour tenir le deuxième tour de la présidentielle.
Mais comme en sport, il faut savoir transformer l'essai.
Parce que les autres n'attendent pas. Et eux, ils ont les moyens de leur politique. Que l'on soit d'accord ou pas avec celle-ci, c'est un droit démocratique, mais si vous n'êtes pas prêts, tant pis car on décidera alors sans vous.
Or, à de rares exceptions près, cela a toujours été le cas dans notre pays, et il n'y a encore rien qui puisse l'empêcher d'arriver à nouveau.
En 1946, ce que nos grands parents se plaisent à appeler 'les cinq glorieuses', parce que ce sont des poètes et des étudiants qui ont déclenché l'insurrection qui a chassé le président Elie Lescot, mais c'est le colonel Paul Magloire qui se saisit de la situation pour faire son coup à la Bonaparte du '18 Brumaire' et installer le président Dumarsais Estimé, qu'il remplacera sans lui laisser le temps d'achever son mandat.
En 1957, idem. Alors que l'opposition se complait à former chaque jour un nouveau gouvernement provisoire de consensus, un petit malin nommé François Duvalier arrive à glisser à la tête des forces armées son homme, le général Antonio Th. Kébreau, qui lui fera des élections sur mesure. Justement tout à fait du genre que Michel Martelly avait préparé pour son successeur désigné, Jovenel Moïse.
Présence d'une personnalité singulière ...
Aujourd'hui encore on semble penser qu'il suffit de rester, comme on dit, 'mobilisé' pour finir par l'emporter. Comme dit encore le même communiqué : « Le G-8 invite le peuple à ne pas se complaire dans le triomphalisme et à rester vigilant et mobilisé » ...
Or non seulement le peuple a depuis longtemps passé l'âge du triomphalisme (ayant tiré le bilan des 30 ans post-dictature Duvalier, hélas) mais la mobilisation peut être éternelle et ne jamais déboucher sur aucun résultat ... Sans la présence d'une personnalité singulière pour l'incarner, comme nous le savons depuis Toussaint Louverture.
Cependant la victoire du 24 janvier a un visage, il s'appelle Jude Célestin.
Si ce dernier n'avait refusé, face aux sollicitations des plus grandes chancelleries occidentales (Washington, Union européenne etc), de participer au scrutin du 24 janvier, notre discours ce matin aurait été bien différent.
Cependant Jude Célestin a, pour répéter la même métaphore de tout à l'heure, très peu de temps pour ... transformer l'essai.
Et encore si la même opposition à laquelle il appartient aujourd'hui, lui en laisse le temps.
En tout cas, vu le lourd programme exposé dans le communiqué du G-8, même le fameux Samson de l'Ancien Testament qui n'irait pas loin.
En un mot, à ce tournant critique, l'opposition ne paraît pas encore prête.
Haïti en Marche, 23 Janvier 2016

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